Le glas des Sabatéens
Les Félys… Ce mot résonne dans ma tête comme un glas. Le glas de la fin tragique de mon village et de tous ses habitants. Le glas annonciateur de la fin des tribus Sabatéennes et de l’unité du Royaume du Brahmapour…
Je me souviens encore de ce Félys qui apparut un jour aux portes de notre village et qui semblait venir en paix. Pour nous, Sabatéens, les Félys n’étaient pas des animaux comme le pensent la plupart des humains. La nature et sa richesse sont imbriquées au plus profond de notre culture et nous respections autant un Félys que n’importe quelle autre race. Nous étions même admiratifs de la puissance guerrière de ces hommes félins et lorsque quelques escarmouches survenaient avec les Félys, nous étions fiers de pouvoir combattre face à de tels guerriers.
Je note tout cela afin que vous compreniez que mon village avait accueilli avec défiance mais aussi beaucoup de respect ce Félys qui semblait malgré tout étrange… Il s’annonça en tant que prêtre du Dieu Azhonta. Nous connaissions assez la mythologie Félys pour savoir qu’Azhonta était le dieu de la révolte mais nous n’avions alors pas pris en compte ce détail qui nous amena à notre perte…
Ce Félys désirait nous faire entendre les révélations qu’Azhonta avait faites. D’après lui, la cité des Dieux avait été retrouvée et leur message était désormais clair et sans ambiguïté. Une nouvelle ère venait de commencer et il fallait choisir son camp… Nous ne comprenions pas les paroles de cet étrange prêcheur qui ne parlait que par métaphores et qui semblait bien au-delà des réalités de notre monde. Il ne resta qu’une nuit dans notre village et il fut accueilli avec le respect du à celui d’un homme de foi, même si cette dernière n’était pas la nôtre.
Les temps et la civilisation que nous connaissions tous depuis les ancêtres de mes ancêtres semblaient, d’après ces dires, avoir atteint leur fin et que le temps du changement était venu. Lorsque ce changement surviendrait, plusieurs choix s’offriraient à nous mais qu’un seul réellement pourrait nous sauver : le rejoindre dans sa foi, prier Azhonta et renier à jamais nos croyances païennes…
Beaucoup des miens ne purent entendre plus de son discours et partirent, scandant que leur foi avait été transmise par leurs ancêtres depuis l’aube des temps et que rien au monde ne pourrait les faire changer… Le prêcheur Félys sembla ne pas les voir ni les entendre et continua son discours déroutant et dérangeant. Il semblait avoir une emprise totale sur certains des miens qui semblaient boire ces paroles comme si elles étaient la seule et ultime vérité…
Je commençais alors à me défier de ce Félys, tout de noir vêtu… Il n’était pas comme tous les Félys que j’avais pu croiser de mon vivant, il semblait venu d’un autre temps, d’un autre âge. Je n’arriverais pas à vous décrire le malaise grandissant qui me prenait dans ses griffes acérées, je sentais au plus profond de moi que ce discours était puissant mais une partie de mon être rejetait en bloc toutes les paroles que mes oreilles pouvaient entendre… Je restais malgré tout autour du feu afin d’entendre la fin de son discours et pouvoir juger en mon âme et conscience du fond de cette prêche…
L’aube survint plus vite que je ne m’y attendais, comme si la nuit avait préféré laisser sa place au jour plus rapidement qu’à l’accoutumée. Devant le Félys ne se tenait alors plus qu’une poignée des miens, la plupart étant partis dormir ou vaquer à leurs tâches journalières. Je restais en retrait ne pouvant m’approcher tout prêt de l’homme félin comme si une barrière invisible se tenait entre moi et le prêcheur…
Le Félys se leva enfin et comme un seul homme, tous ceux qui l’avaient écouté toute la nuit se levèrent et le suivirent. D’un pas serein, le Félys prit la direction de la Jungle ne semblant même pas s’apercevoir que plusieurs villageois le suivait. Le temps sembla s’arrêter et je ne fis aucun geste pour retenir ceux qui avaient été mes compagnons toute ma vie. Personne d’ailleurs dans mon village n’empêcha leur départ et ils disparurent enfin à la lisière de la Jungle d’Emeraude.
La nuit venue, la plupart d’entre nous ne comprenait toujours pas le départ de certains des nôtres, mais nous semblions incapables d’agir et nous n’arrivions pas à nous décider pour lancer une expédition dans la jungle pour les récupérer. De toute manière, cette tentative aurait été un échec car lorsque la lune fut haute dans le ciel, des centaines de guerriers Félys sortirent de la jungle et attaquèrent notre village.
Nous fûmes submergés en quelques minutes et le temps de récupérer nos esprits et de comprendre la situation, la plupart d’entre nous, étions déjà gisants au sol ou morts. Je ne dois ma survie qu’au fait de m’être évanoui après avoir reçu un coup à la tête qui aurait du être mortel. Je pense que les Félys m’ont considéré comme mort et m’ont laissé ainsi…
Le lendemain, lorsque j’ai ouvert les yeux, il ne restait rien de mon village à part des cendres et des dizaines de corps transpercés de coups ou déchiquetés par les griffes des hommes félins… Je sais maintenant que les autres villages vécurent la même nuit que nous… Mon peuple, les Sabatéens n’est plus et les rares survivants de ces nuits rapportent le même étrange récit que le mien et semblent aussi désemparé que moi…
Je me dirige désormais vers Bakara, vers le palais du Maharadjah, en espérant que ce dernier pourra nous venir en aide, mais je sais au plus profond de moi que la bataille est déjà commencée et que nous ne sommes pas prêts à affronter notre adversaire…